Liège, Chartreuse des Douze Apôtres


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Jan De Grauwe
Liège, Chartreuse des Douze Apôtres, in: Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques, 32 (2019), 120-124  
[De Grauwe 2019b]

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Liège O.Cart. (historiographia)

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CHARTREUSE DES DOUZE APÖTRES À LIÈGE.
Cette chartreuse faisait partie à l’origine de la Provincia Picardiae puis, à partir de 1411, de la Provincia Picardiae remotioris devenue en 1474 la Provincia Teutonica, Domus Duodecim Apostolorum, Chartreuse des Douze Apôtres, Domus Leodii, Chartreuse de Liège.

Jean de Brabant, riche échevin de Liège, lègue, par testament, le 1er déc. 1353, tous ses biens à l’abbaye bénédictine de Saint-Jacques, mais les bénédictins, avec l’accord du prince-évêque de Liège, Englebert de la Marck, refusent ce don car certaines conditions imposées par Jean de Brabant sont incompatibles avec leurs coutumes. Le prince-évêque se rappelle alors l’affection que l’échevin avait toujours manifestée pour les chartreux, et assigne la majeure partie du legs à la construction et à la dotation d’une chartreuse sur le Mont-Cornillon. Sur ce lieu se trouvait un petit sanctuaire dédié en 1116 aux Douze Apôtres et à la Ste Vierge, où reposait la dépouille mortelle de l’empereur Henri IV. Jouxtant cet édifice, il y avait un couvent des prémontrés, qui l’avaient abandonné en 1288. Le lieu était en ruine, car détruit par les Liégeois en 1291 lors d’un combat qui les avaient opposés au prince-évêque.

Bien qu’une charte datée du 14 janv. 1357 annonce la fondation de la nouvelle chartreuse, ce n’est que le 14 juin 1360 que le prieur Bertrand, profès de Paris, accompagné de trois moines prend possession des lieux. Grâce aux ressources mises à leur disposition par Englebert de la Marck, les nouveaux occupants s’attèlent aussitôt à la mise en place du site. Il s’avère bien vite que les revenus de fondation sont insuffisants. Mais grâce au mécénat d’Helmic de Moylant, chanoine de Saint-Lambert, premier ministre du prince-évêque et frère du premier vicaire du nouveau monastère, une nouvelle impulsion est donnée aux travaux. Plusieurs autres bienfaiteurs mettent la chartreuse dans une situation très prospère. En 1400, une grande dotation due à Catherine de Flémalle, veuve du mayeur de la cité, Reneward du Pont d’Avroy, permet de construire six nouvelles cellules, d’agrandir deux chapelles et de compléter les ornements liturgiques.

En 1390, lorsque le Grand Schisme d’Occident divise le monde chrétien, la chartreuse de Liège reste fidèle au pape de Rome.

Jusqu’à la fin du xve siècle, surtout sous le prieur Jacques de Gruitrode (1440-1445 et 1447-1475), la prospérité du monastère est telle qu’il est considéré comme un des plus importants de la province teutonique. En 1451, il y a 21 moines, ce qui est contraire aux Statuts, mais une dérogation avait été accordée par le card. Nicolas de Cuse. Pendant cette période, le prieur joue un rôle important dans les affaires publiques de la ville de Liège. En 1466, il se rend à Huy, accompagné par les abbés de Saint-Jacques et du Val-Saint-Lambert, pour y discuter avec Jean de Streel par quels moyens payer les sommes dues au duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Les désastres que connaît Liège n’affectent pas la chartreuse qui est même considérée comme un havre de paix.

L’an 1487 marque un tournant de cette situation. En effet, la situation stratégique avantageuse suscite la convoitise d’Évrard IV de la Marck : le 5 janv. 1487, lors d’une tentative avortée pour s’emparer de la ville, l’église est totalement détruite par les troupes d’Évrard. Les Liégeois, devenus conscients du danger que peut représenter l’occupation par l’ennemi d’une aussi excellente situation stratégique, décident de raser la chartreuse. Heureusement, le prince-évêque et les visiteurs de l’ordre parviennent à contrecarrer ce plan, mais la moitié des religieux se dispersent dans les autres maisons de la province en attendant des temps meilleurs. En 1489, Évrard de la Marck et ses hommes emportent une partie des chevaux et du bétail, tandis que les troupes allemandes pillent le monastère et s’emparent de ce qui reste de chevaux et de bétail. La mauvaise situation économique de la chartreuse oblige le prieur, Jacques de Looz, à vendre un grand nombre de rentes. Mais déjà en 1490, il réussit à restaurer et embellir l’église et à constituer une importante et riche bibliothèque. En 1507, on relève les murs d’enceinte détruits en 1487. La prospérité matérielle et la ferveur religieuse ont pour corollaire d’attirer de nouvelles vocations : onze novices entrent vers le milieu du xvie siècle.

Une nouvelle période de déstabilisation se situe vers 1575-1580 ; elle détermine le prieur à construire un abri secret à l’intérieur du monastère.

En novembre 1609, une visite spéciale effectuée par les visiteurs de la province de Picardie comme commissaires délégués par le chapitre général suscite un vif émoi au sein de la province de Teutonie. Il en résulte un bouleversement total au sein de la chartreuse liégeoise : le prieur, Jean de Steenlant, et le vicaire sont déplacés tandis que trois moines profès de Liège sont appelés à exercer des charges ailleurs. Pour exercer la charge prieurale vacante, les visiteurs font appel à Jean Brial, profès de la Grande Chartreuse, mais natif de Houffalize (Principauté de Liège), qui dès sa mise en place se fait remarquer par son excellente administration. Le 7 mars 1644, sous le prieur François Francisci, l’évêque suffragant, Richard Stravius, consacre cinq autels dans la nouvelle église. Le prieur suivant, Gilles de Liverlooz, grâce à la situation sociale de sa famille et les nombreuses relations qu’il entretient avec la noblesse liégeoise, donne à la chartreuse un rayonnement éclatant : il fait exécuter l’aile septentrionale du grand cloître, adapte une partie de la cellule prieurale, fait niveler le terrain et tailler une partie du rocher sur lequel s’élève le monastère pour aménager les jardins en terrasse. Il n’est pas moins actif sur le plan spirituel : il accomplit avec succès plusieurs missions tant à l’intérieur qu’en dehors du monde cartusien. Durant son priorat, la chartreuse connaît une brève période difficile : en 1649-1650, les moines doivent quitter les lieux pour se réfugier à Spa car les troupes allemandes, appelées par le prince-évêque, Ferdinand de Bavière, ont investi le monastère. En 1689, le prince-évêque, Jean-Louis d’Elderen, déclare la guerre à Louis XIV. Le prieur, Paul Castel, français d’origine, voit son couvent occupé par le Général Major, le comte de Flodorp, avec ses officiers, tandis que les soldats montent la garde aux portes du monastère, ce qui entraîne de gros débours. Les biens que les chartreux possèdent dans la région sont pillés par les troupes françaises. Des négociations avec le ministre Louvois n’aboutissent à aucun résultat. De son côté, le prince-évêque ordonne que les religieux de nationalité française quittent le territoire liégeois. Pour les moines, la situation n’est guère brillante et après une série d’altercations entre moines et soldats, ces derniers prennent définitivement possession du couvent. Il s’ensuit une longue série de tracasseries de la part de la troupe. Enfin, le 2 nov. 1697, la paix entre les antagonistes est publiée, mais pas pour longtemps, car au printemps de 1702, les soldats français reprennent possession de la chartreuse et le 29 octobre suivant, l’armée hollandaise attaque la chartreuse. Tout le monastère est détruit. Les chartreux sont obligés de s’installer dans différents monastères et ce n’est qu’en 1705 que la communauté est de nouveau réunie et entreprend la restauration. Petit à petit la chartreuse retrouve son prestige d’antan et l’on ne tarit pas d’éloges sur la beauté des bâtiments ainsi que sur le zèle éclairé du prieur, Pierre de Loncin. Cette période de prospérité dure jusqu’en nov. 1792, lorsque l’armée républicaine française pille le monastère et chasse les religieux le 17 janv. 1793. Pendant l’éphémère Restauration autrichienne, les soldats autrichiens saccagent le peu qui reste. Les chartreux reviennent pourtant et peuvent profiter de l’usufruit de leurs biens, mais pour peu de temps, car la loi du 1er sept. 1796 décrète la suppression de toutes les institutions ecclésiastiques et le 23 oct. 1797 tous les biens de la maison sont vendus. À partir de cette date, la chartreuse de Liège a définitivement cessé d’exister.

Liste des premiers prieurs (1360-1417) dans J. Stiennon, op. infra cit., p. 37-44.

Sources
Archives de l’État à Liège, Abbaye Saint-Jacques, chartrier ; Fonds Chartreux, cartulaire, chronicon-obituarium (de la fin du xive siècle jusqu’en 1644) avec en appendice la liste des prieurs de 1360 à 1677. Fonds Français, Préfecture, Cultes, n° 476. Bibliothèque de l’Université, Chronique de Jean Jouvente (n° 562C), Varia Cartusiae Leodiensis (n° 563C). Archives Générales du Royaume à Bruxelles, Ms. 13883-13890. Bibliothèque Royale Albert Ier, Ms. 4051-4068, Pierre de Wal, Miscellanea opera contenant une brève Fundatio domus Leodiensis (f° 117r-119v) et Catalogus priorum Cartusiae Leodiensis (f° 120r-123r).

Travaux
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Th. Gobert, Over de kartuize bij Luik, dans Liège à travers les âges, t. 2, Liège, 1925, p. 322-332.
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