Prologhe

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[De Vreese 1895]1

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Nederlandse vertaling
[Verdeyen 1981]
Franse vertaling
naar: [Verdeyen 1995]
[p. 12]
PROLOGUE DE DOM GÉRARD, QUI JADIS ÉTAIT PROCURATEUR DANS L4ORDRE DES CHARTREUX ET QUI A RASSEMBLÉ LES LIVRES COPIÉS CI-DESSOUS

La lumière de la grâce divine ne peut rester chachée, mais elle doit paraître dans l'homme qui la porte par ses oeuvres, par ses paroles ou par d'autres signes. Parce que le révérend abbé qui a écrit ces cinq livres, s'est trouvé singulièrement privilégié par la grâce, il a voulu manifester celle-ci non seulement par ses oeuvres et ses édifiantes paroles, mais aussi par ses écrits, afin que beaucoup d'hommes puissent en tirer profit bien longtemps encore après lui.

Cet auteur s'appelait dom Jean de Ruusbroec. Il mena d'abord pendant un certain temps une vie pieuse comme prêtre et chapelain de l'église Sainte-Gudule à Bruxelles en Brabant. Et c'est là qu'il commença à écrire quelques-uns de ces livres. Plus tard il voulut se retirer de la société des hommes. Avec l'aide d'un autre chapelain, plus riche et tout aussi pieux que lui, dom François de Coudenberghe, ils acquirent pour leur grand profit à tous deux, une modeste demeure, située au sud-ouest de Bruxelles, à l'intérieur de la forêt de Soignes — c'est-à-dire à une lieue de sa lisière —, dans un vallon nommé Groenendaal (Vauvert), où se trouvait depuis un certain temps un ermitage pour un ermite. Mais dom Jean a toujours eu l'intention de rester le subordonné de dom François. C'est là qu'ils commencèrent à vivre saintement dans la solitude. Parce que Dieu voulait qu'un plus grand nombre d'hommes puissent tirer profit de leur sainte vie et être formés à leur exemple, il arriva que quelques personnes de bonne volonté, habitants des villes de Brabant, des laïcs aussi bien que des religieux, vinrent s'adjoindre à eux pour partager leur genre de vie. Dom Jean, bien qu'il eût préféré rester à l'écart de toute vie commune, ne s'opposa à leur venue, persuadé qu'il était que dom François désirait faire croître l'amour de Dieu en beaucoup de personnes. Il était convaincu, comme il nous l'apprend en ses écrits, que pour sa part il pouvait tout à la fois et reposer en Dieu et travailler aux choses de ce monde.

Par la suite, et sous l'inspiration de Dieu, le désir leur vint d'adopter une règle religieuse, approuvée par la sainte Église, afin de donner à leur communauté une plus grande cohésion et à leur fondation un caractère durable. Ils prirent l'habit et la règle d'un nouveau chapitre de chanoines réguliers de saint Augustin et accueillirent quelque huit personnes, qui choisirent dom François pour l'office de prévôt et dom Jean était le prieur sous ses ordres. Ils observaient leurs voeux religieux d'une manière fidèle et rigoureuse aux yeux de Dieu, et d'une manière exemplaire aux yeux des hommes.

De plus il faut savoir que les écrits et les livres de dom Jean sont beaucoup copiés en Brabant, en Flandre et dans les pays environnants. Ils furent traduits du thiois parlé en Brabant en d'autres langues, même en latin, pour qu'on puisse les lire aussi en des pays lointains. Il y avait à cette époque un grand besoin [p. 13] d'instructions saintes et saines dans la langue thioise, en raison de certaines hypocrisies et fausses doctrines qui venaient de surgir. Dom Jean décrit celles-ci clairement à la fin de la deuxième partie de son livre L'Ornement des Noces spirituelles et il en fait souvent mention ailleurs en ses livres.

Et il s'est fait ainsi que moi, frère Gérard, de l'ordre des chartreux de la maison Chapelle de Notre-Dame à Hérinnes, aussitôt que quelques-uns de ces livres me sont parvenus, j'ai commencé à les étudier de près selon la capacité de mon intelligence. Les trouvant parfaitement conformes à la doctrine de la sainte Église et à l'enseignement des principaux Docteurs, je les ai copiés et rassemblés dans le présent recueil pour le plus grand profit de moi-même et d'autres personnes. Bien qu'ils contiennent beaucoup de paroles et de phrases qui dépassent mon entendement, je pense malgré tout que ces livres doivent être tenus pour bons. Lorsque le Saint-Esprit inspire une doctrine limpide et claire, nous la comprenons sans peine. Mais une doctrine plus élevée demande de notre intelligence plus d'efforts. Et s'il arrive que cette doctrine soit trop haute, alors nous nous humilions devant Dieu et devant les Docteurs qui l'ont mise par écrit.

Ainsi moi-même et quelques-uns de nos frères, nous nous sommes enhardis à envoyer quérir dom Jean, afin qu'il vienne lui-même de vive voix nous expliquer certaines paroles élevées que nous avions trouvées dans ses livres, et surtout un long passage du premier livre Le Royaume des Amants où il traite du don de conseil et qui nous faisait difficulté. Nous l'invitâmes donc à venir jusque chez nous. Avec sa bonté coutumière, il accepta l'invitation et franchit à pied, malgré les peines qu'il en ressentit, la distance de plus de cinq lieues qui nous séparait.

Il y aurait beaucoup de choses édifiantes à dire à son sujet: sa physionomie sereine et enjouée, la manière bienveillante et humble de s'exprimer, tout son extérieur empreint de spiritualité et la modestie religieuse visible en son habit et en tout son comportement. Tout cela est apparu en particulier lorsqu'il se trouvait au milieu de notre communauté et que nous nous entretenions avec lui dans l'espoir d'en apprendre davantage au sujet de ses hautes connaissances. On vit bien alors combien il évitait de parler de son propre fond, mais il expliquait quelques exemples et paroles empruntés aux saints Docteurs, avec l'intention de nous exciter à l'amour de Dieu et de nous confirmer dans le service de la sainte Église.

Quand, à deux ou trois, nous l'avons pris à part pour parler de ses livres et quand nous lui avons dit que nous les possédions déjà et que nous les avions transcrits, il parut aussi libre de vaine gloire en son coeur, que s'il n'en eût pas été l'auteur. Et lorsqu'en tête-à-tête je lui parlai du passage qui se trouve dans le premier livre qu'il a écrit, c'est-à-dire Le Royaume des Amants, passage qui nous faisait difficulté, il répondit calmement qu'il ne savait pas que le livre avait été divulgué et qu'il regrettait qu'il eût été communiqué au dehors, car c'était le premier de tous ses écrits. Un prêtre qui avait été secrétaire de dom Jean, nous l'avait prêté en secret pour que nous puissions le copier. Défense cependant lui avait été faite de le passer à d'autres. Quand j'eus appris ces choses, je voulus lui rendre ce premier livre de notre recueil, Le Royaume des Amants, pour qu'il en fit [p. 14] ce qu'il jugerait bon; mais il refusa en disant qu'il écrirait un autre livre où il expliquerait comment il entendait les paroles difficiles et comment il désirait qu'on les comprit. Et c'est ce qu'il a fait; il s’agit du petit livre venant en dernier lieu dans ce recueil de cinq traités et commençant par les mots Le prophète Samuel.

Les trois journées que le vénérable religieux passa chez nous, nous parurent beaucoup trop courtes; car tous ceux qui s'entretenaient avec lui ou l'approchaient, sentaient qu'ils en devenaient meilleurs. Et lorsque nous avons insisté, tous ensemble, pour qu'il restât plus longtemps parmi nous, il répondit: "Mes chers frères, avant tout il nous faut être obéissants. J'ai promis à mon supérieur, notre prévôt, d'être de retour à la maison à tel jour déterminé, et il m'a accordé la permission d'être absent jusqu'à ce jour. Il me faut donc me mettre en route bien à temps, pour rester dans l'obéissance". Ces paroles nous édifièrent profondément.

Au sujet du deuxième livre, à savoir L'Ornement des Noces spirituelles, il dit encore qu'il le tenait pour un livre sûr et bon et que de nombreuses copies en avaient été faites, jusqu'au pied des Alpes. Le livre du Tabernacle qui vient ensuite, se recommande par lui-même; car il n'est personne dans le corps de la sainte Église, que ce soit le pape ou le fidèle de la plus humble condition, à qui il ne sera de grand profit spirituel, à condition d'être lu et compris. Mais il recommande aussi son auteur; car on y trouve une multitude de vérités spirituelles fort subtiles, tirées des choses les plus compliquées qui se trouvent dispersées par toute la Bible et qui se rapportent à une seule réalité, c'est-à-dire à l'âme humaine; de même que le tabernacle et tout ce qui le concerne, se rapporte à un seul et unique ouvrage. Je reconnais aussi que j'ai inséré à quelques endroits dans le livre du Tabernacle, sous la forme de paragraphes marginaux, les opinions d'autres Docteurs au sujet de la description extérieure du tabernacle, non dans l'intention de diminuer en quoi que ce soit la valeur de l'écrit de notre auteur, mais pour que le lecteur perspicace et éclairé puisse y trouver quelques sujets de méditation. Dans ce même livre, là où l'auteur commence à traiter des vingt oiseaux que Dieu a défendu de manger, j'ai omis — et pour le faire j'avais mes raisons — une longue mise en accusation de tous les états de la sainte Église. Il l'a écrite parce qu'il regrettait amèrement qu'ils soient tous tombés si bas et qu'ils ne cessent de s'éloigner toujours davantage d'aussi saints commencements. Mais on trouvera certainement ces remontrances dans d'autres copies de ses livres.

Au sujet du quatrième livre, à savoir L'Anneau ou i>La Pierre brillante, il faut savoir que dom Jean s'est trouvé à un certain moment en conversation avec un ermite à propos de choses spirituelles. Au moment du départ, ce frère le pria instamment de l'éclairer par quelques écrits concernant les sujets dont ils avaient traité, pour que lui-même et un autre encore puissent en tirer profit. Et c'est à la requête de cet ermite qu'il composa ce livre qui, à lui seul, contient une doctrine suffisante pour conduire quelqu'un à la vie parfaite.

Il a déjà été dit pourquoi il a écrit le cinquième livre, c'est-à-dire la Déclaration de la plus haute vérité. À côté d'autres explications qu'il donne en ce [p. 15] livre, il décrit trois sortes d'union que l'âme d'un homme vertueux peut avoir avec Dieu. La première sorte est appelée "avec moyen"; la seconde "sans moyen"; la troisième "sans différence ou distinction". Au sens premier que prennent les mots "sans différence", nous avons été choqués par l'expression, car "sans différence" ne signifie rien d'autre que sans aucune inégalité, sans aucune altérité, totalement le même, sans distinction. Mais il est impossible que l'âme soit ainsi unie à Dieu de manière à ne former qu'une seule substance avec lui, comme il l'indique d'ailleurs lui-même dans son livre. Il faut donc se demander pourquoi il a appelé cette troisième union "sans différence". À ce sujet, je pense ce qui suit. La première union, il l'avait nommée: avec moyen; et la seconde: sans moyen; et pour nommer la troisième, il a voulu trouver une union encore plus étroite. Mais il n'est pas parvenu à la nommer sans recourir à une périphrase, et il a dit: "sans différence", bien que ces mots soient un peu trop forts pour rendre et exprimer son opinion. Et pour ce motif, il explique, au moyen de paroles prononcées par le Christ lui-même, pourquoi l'expression dit plus qu'il ne faut. Le Christ a prié son Père pour que tous ses bien-aimés soient parfaitement un, comme Lui- même est un avec le Père. Et bien qu'il ait prié ainsi, le Christ n'a pas voulu dire: un de la manière dont Lui-même est devenu un avec le Père, une seule substance de la Divinité. Car cela est impossible. Mais bien un de la manière dont Lui-même est sans distinction une seule jouissance et une seule béatitude avec le Père.

On trouve des personnes qui, bien que comprenant mieux le thiois que le latin, préfèrent cependant, pour l'étude des choses spirituelles, les livres écrits en latin aux livres écrits en thiois. Ces personnes ne s'attachent pas vraiment à ce qui devrait être le fruit de leur étude, je veux dire: à en être instruits davantage. Car des écrits dont je ne comprends la langue que difficilement, ou avec peine ou même pas du tout, il ne m'est pas possible de saisir le plein enseignement. Mais s'il y a des écrits, qui ne peuvent pas me tromper ni par la signification des mots ni par la construction des phrases, je peux m'instruire de leur sens. Et si je parviens à les comprendre, je puis en être instruit; mais ne les comprenant pas bien, jamais je n'en recevrai de l'instruction.

Il faut remarquer aussi que ces livres sont écrits en pur thiois de Bruxelles, en sorte qu'on n'y trouve guère de mots latins ou wallons ou des expressions empruntées à une langue étrangère. Et ce même thiois de Bruxelles est employé ici avec plus de perfection que dans la manière dont les gens de cette ville le parlent habituellement. Je veux dire que ceux-ci élident ou omettent souvent dans leur langage l'article pronominal. Quand ils veulent dire, par exemple, "dat ierste, dat andere, dat derde, dat vierde" (le premier point, le deuxième point, le troisième point, le quatrième point), ils laissent habituellement tomber les deux dernières lettres de l'article "dat" el ils disent: "dierste, dandere, derde, tfierde". Et ils font de même avec encore d'autres syllabes et d'autres mots. Mais comme cet auteur-ci avait l'intention d'enseigner parfaitement la pleine vérité, il a écrit d'une manière parfaite ses syllabes, ses mots, ses phrases et ses livres et il a tout accompli pour la gloire de Dieu et pour notre salut.
(Traduction de G. Neefs S.J.)

  • 1. De Vreese geeft de proloog uit naar het Ruusbroec-hs. KB Brussel 3416-24 (= hs. D) met de varianten van het Ruusbroec-hs. UB Gent 693 (= hs. G). Volgens de codicologen KIENHORST & KORS 1998, p. 20, n. 90 staat de taal in hs. G nochtans dichter bij broeder Gheraert dan in het Hollandse hs. D. — De Vreese heeft het hoofdlettergebruik van namen en de punctuatie genormaliseerd, en de regeleinden in het handschrift niet gevolgd (vergelijk de foto van het handschrift in bijlage uit Jan van Ruusbroec 1981, p. 87).
    De Prologhe van Broeder Gheraert, kartuizer te Herne, is een belangrijk historisch document, omdat dit het oudste literaire getuigenis is over het leven en de werken van Ruusbroec, geschreven door iemand die hem persoonlijk heeft ontmoet en gesproken: met andere woorden het uiterlijk voorkomen van de Brabantse mysticus heeft kunnen aanschouwen, zijn religieuze taal heeft kunnen beluisteren en een totaalindruk van zijn persoonlijkheid heeft kunnen opdoen. We krijgen een antwoord op de vraag waarom Ruusbroec schreef. We worden geïnformeerd over de stichting van Groenendaal en over de verspreidng en de vertaling van Ruusbroecs werken tijdens zijn leven. Al geeft Gheraert zijn bezorgdheid te kennen aangaande de verstaanbaarheid van de hoge geestelijke woorden in de geschriften van Ruusbroec, niettemin drukt hij zijn vertrouwen uit in zijn leer waarvan hij vond dat deze overeenstemde met de leer van de Heilige Kerk en van haar leraren. Deze overtuiging heeft hem ertoe aangezet vijf werken van Ruusbroec te kopiëren en ze te verzamelen in één boekband, opdat de mensen er nut zouden van hebben. Maar de kartuizer blijft kritisch en ervaart de lezing van een bepaale uitdrukking in een werk van Ruusbroec als problematisch. Hieruit zou blijken dat de menselijke ziel één wezen wordt met God alsof er geen enkel onderscheid zou bestaan. Gheraert nodigt Ruusbroec uit om zijn zienswijze persoonlijk met eigen woorden te komen verduidelijken. Ruusbroec vertoefde gedurende drie dagen in de Hernse kartuis en zijn aanwezigheid stemde de bewoners tevreden, vooral toen hij hen bij zijn afscheid beloofde een boekje te schrijven tot verklaring van die moeilijke passage. Gheraert benadrukt dat Ruusbroec schreef in een onvervalst Brussels Diets. Hiermee stelt hij het belang van deze volkstaal in het licht tegenover het gebruik van het Latijn, de geleerdentaal, en van die andere taal, het walsc of het Frans. — © Frans Hendrickx.
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