Brief van kapitein Colas des Francs
In Frankrijk is het begin van de twintigste eeuw gekenmerkt door de fameuze wetten Combes. De wet van 1 juli 1901 op de verenigingen, de wet Waldeck-Rousseau, ligt aan de basis van de wetten Combes die over het lot van vele kloosters zouden beslissen. De Franse kerk leefde toen nog onder het regime van het concordaat van 1801: de staat benoemde en betaalde de seculiere geestelijkheid, maar de regulieren ontsnapten aan elke staatscontrole. Waldeck-Rousseau wilde dat laatste veranderen. Hij diende een wetsontwerp in dat vooral de religieuze congregaties beoogde: deze moesten een officiële toestemming vragen om te mogen bestaan en de voorwaarden hiervoor werden in die wet vastgelegd. Omdat de toestemming systematisch geweigerd werd, werden 25 congregaties met meer dan 1500 huizen en 11000 leden in hun voortbestaan bedreigd. Wat de kartuizerorde betreft, werd er enkel een aanvraag ingediend voor de Grande Chartreuse, die op 26 maart 1903 geweigerd werd. De ontruiming van het moederklooster werd door de overheid gepland.
Op 14 april 1903 schreef de prior generaal van de orde in een emotionele brief aan Emile Combes:
Vous avez le droit d'apprendre que nous ne déserterons pas la poste de pénitence et d'intercession ou il a plu à la Providence de nous placer. Notre mission est ici de souffrir et de prier pour notre cher pays: la violence seule arrêtera la prière sur nos lèvres.
De deuren en poorten van de Grande Chartreuse werden door de monniken op slot gedaan.
In de daaropvolgende dagen verzamelden zich, ondanks het slechte weer, duizenden sympathisanten in de omgeving van het klooster. De Franse overheid steurde een bataljon zwaar bewapende cavallerie, een detachement bomexperten, genietroepen en bereden politie naar het klooster in de vroege ochtend van 29 april. De troepen moesten zich door de wegblokkades en een joelende menigte bewegen om de toegangspoorten te bereiken. Uiteindelijk vond men de 23 monniken in het koor van de kerk. Terwijl de gesloten kerkdeuren met geweld werden opengebroken, zetten de monniken ongestoord het Sub tuum in. De kartuizers werden opgepakt en weggeleid voor een korte ondervraging. Kapitein Colas des Francs, die tegen zijn zin de orders van de overheid had opgevolgd, brak zijn degen en nam ontslag, gevolgd door kolonel de Coubertin, commandant van een regiment uit Chambéry.
Jaren later beschreef kapitein Colin des Francs, nog steeds niet in het reine gekomen met zichzelf, in een brief de gebeurtenissen uit 1903. Hij overleed op 27 december 1934.
Lettre écrite le 2 juillet 1930 par le capitaine Lionel Colas des Francs au Professeur Westrup, de Copenhague, qui résida, pour quelques jours seulement dans la Grande Chartreuse, alors transformée en auberge.
Monsieur le Professeur,
En arrivant sous les murs de la Grande Charteuse, vous ne saviez certainement pas quels souvenirs ils portaient d'un passé, hélas trop récent, puisque ma génération l'a vécu. Je vous dois un court récit de ce drame abominable.
C'était en 1903. Il y a dans l'histoire de tous les pays des moments où un pouvoir tyrannique met au service du mal sa puissance de gouvernement. La France vivait une de ces heures que d'autres ont rachetées depuis. Les ministres s'appelaient Combes et André. Celui-ci faisait régner dans toute l'année le système de la délation, en vue de l'universelle oppression des consciences chrétiennes.
J'étais Capitaine de Dragons, Monsieur le Professeur, et j'étais chrétien.
Or, un matin, à Chambéry, où nous tenions garnison, nous recevons l'ordre, au rapport, de tenir deux escadrons, chevaux sellés, prêts à partir pour une destination inconnue. Hélas! Nous la devinions : depuis un mois déjà, on parlait du prochain siège de la Grande Chartreuse. Et, c'était nous, c'était moi, officier français, c'étaient mes hommes que j'aimais j'aimais tant, paysans du Dauphiné et pour plusieurs de Chartreuse même, qui allions avec nos chevaux et nos armes, conduire cette horrible opération.
Quel drame, Monsieur, dans nos consciences, quel dilemme! ... Obéir, quelle douleur! Désobéir, quel exemple! Nous cherchions, nous imaginions de pauvres solutions, comme celle du troupier qui se fait porter malade... Non cela n'était pas digne de nous. Que faire?
Enfin, un soir, à 6 heures, le 28 avril 1903, l'ordre de marche arriva: direction Saint Laurent du Pont, où nous trouverions les ordres. Impossible de se tromper. C'était bien cela.
Longue étape et morne route dans la nuit où, par ordre, et par honte, nous nous dissimulions.
Vers minuit, nous quittions Saint Laurent du Pont. Voici l'entrée du désert, le torrent des rochers abrupts. Douleur, douleur! Que de fois étions-nous partis là haut, sous le ciel clair, joyeux, insouciants, attirés par la paix bénie du monastère.
Mais aujourd'hui, nous montions comme des voleurs. Que faire; que faire! Les pensées tournoient dans ma tête. Halte! Une barricade : des sapins abattus, branches enchevêtrées. Les dragons mettent pied à terre. On tâche de se dépêtrer; on remet les troncs parallèles à la pente: c'est la guerre.
Nous passons.
Voici le Pont Saint Bruno. Nouveau barrage : arbres, rochers, nouvelles manoeuvres.
Nous enfonçons maintenant par endroit dans la neige.
Qu'allons nous trouver là-haut? Comment résoudre le dilemme?
Enfin, nous voici sous les grands murs de la Chartreuse, ceux qui vous abritent maintenant, Monsieur le Professeur, ceux dont les assises ont huit cent ans. C'est la forteresse de la prière et de la paix que nous venons assiéger pour préparer vos pitoyables vacances d'aujourd'hui. Le barrage maintenant n'est plus de sapins, mais d'hommes. Des hommes, des Français comme nous, défendant contre nous une cause que nous savons juste et sainte.
Nous tachons de leur expliquer que nous ne sommes pas là pour notre plaisir... Ils crient "Vivent les dragons"!!
Nous passons et prenons position devant la grande porte. Maintenant il faut dégager largement pour que les magistrats puissent faire leur besogne. Nous repoussons la foule par les chevaux.
Voilà, entourés de gendarmes, les trois landaus du parquet passant à la lueur des torches, sous les clameurs indignées de la foule, et sous notre protection. Il y a des remous, des poussées, des reculs, des coups, des cris, des chants ; tout un tumulte de foule, de guerre, de haine et de désespoir dans cette solitude pacifique.
Nos chevaux s'impatientent et ruent ...
Des coups sourds; c'est la porte du Monastère que les sapeurs du 4è Génie enfoncent à coups de hache. Les coups me font tressaillir. Non, ce n'est pas pour entendre et protéger cela que je me suis fait soldat. Et cependant, pour le maintien de l'armée qui peut-être, devra protéger mon pays de l'invasion, je continue à obéir. La porte est enfoncée. Les minutes, combien ? je ne sais, mais longues, immenses s'écoulent. Enfin un cortège nouveau apparaît dans la porte: ce sont les robes blanches des Chartreux, entourés de gendarmes. Une émotion immense m'étreint. Je fais mettre sabre au clair, puis sabre en main pour rendre les honneurs à ceux que la servitude militaire m'a contraint de venir expulser.
Et nous demeurons là, en double haie, immobiles sur nos chevaux, la tête courbée sous l'obéissance, sous la honte, mais aussi sous la bénédiction de ceux qui défilent entre nous. Minutes inouies où à travers nos propres larmes, j'ai vu pleurer mes officiers et mes dragons.
On n'oublie pas ces choses, Monsieur le Professeur.
Cependant, ma résolution était prise. A la première étape, à Entre-deux-Guiers, tandis que mes hommes accablés d'émotion et de fatigue dormaient dans le coin d'une grange, je rédigeais ma lettre de démission. Pour le maintien de l'armée française, j'avais obéi; pour la libération de ma conscience, je devais briser ma carrière et mon épée. Alors, à la sortie du tunnel des Echelles, j'arrêtais la colonne, j'assemblais mes hommes autour de moi.
J'aimais mes hommes, Monsieur le Professeur; je leur expliquai ce que je venais de faire, pourquoi je l'avais fait et je leur dis "Adieu".
Puis les jours passèrent et la justice demeurait muette.
Un jour cependant l'orage éclata sur le monde, dévastant les nations et les familles. La mienne ne fut pas épargnée. J'avais obéi: des millions de français obéirent. Seuls les exploiteurs de la politique qui ont osé vous inviter ces jours derniers, s'enfuirent à l'arrière front pour les tranchées de Grenoble, d'où, dès 1916, ils préparaient vos vacances de 1930, en haine de leurs concitoyens chartreux. Pendant ce temps, Monsieur le Professeur, le 17 mars 1916, au Cabaret Rouge, sous Verdun, mon fils mourrait pour la France. L'épée que le père avait brisée dans les larmes en 1903, le fils la reforgeait dans le sang du sacrifice suprême et victorieux.
J'étais frappé, j'étais récompensé, j'étais vengé par sa mort et par celle de tant de ses compagnons tombés en Français et en Chrétiens; il préparait déjà la résurrection de la Pologne, le retour de l'Alsace-Lorraine à la France, du Schleswig au Danemark et, croyez-le bien Monsieur le Professeur, de la Chartreuse aux Chartreux.
Je vous devais, n'est-il pas vrai, le récit du drame de 1903 et de la torture qu'il imposa à ma conscience. Il brisa ma carrière, mais il me permit de laisser derrière moi l'honneur. Pensez au vôtre, Monsieur le Professeur, il est engagé maintenant dans ce drame.
Quand vous traverserez la cour de la Chartreuse, songez aux dragons de 1903 qui sont là, immobiles et obéissants, la tête baissée, pleurant de honte, tandis que défilent devant eux, comme des malfaiteurs, les blancs disciples de Jésus-Christ. Vous, Monsieur le Professeur, vous êtes libre: il faut vous en aller.
Voulez-vous être avec les crocheteurs d'hier, avec la force contre l'esprit? Voulez-vous pousser à bout ceux qui ne désirent que vous recevoir dans une hospitalité unanime, en saluant votre belle nation?
Craignez, Monsieur le Professeur, la colère des consciences blessées. Des soldats de 1914, vivants ou morts, vous ont dit leur parole; je donne celle des soldats de 1903: en souvenir d'eux allez-vous en.
Veuillez agréer, Monsieur le Professeur, avec mon salut pour le peuple danois, l'expression de mes sentiments douloureux, mais pleins d'espoir en votre loyauté.
Capitaine Lionel Colas des Francs
Ancien Commandant du 3è Escadron du 4è, Dragon de Chambéry,
Chevalier de la Légion d'honneur, rue Voltaire à Grenoble.